- ÉCONOMIE MONDIALE - 1993 , une nouvelle année de purgatoire
- ÉCONOMIE MONDIALE - 1993 , une nouvelle année de purgatoire«L’Europe occidentale n’est plus la zone dominante dans le monde.» Cette remarque du secrétaire d’État américain Warren Christopher, dans une interview publiée en octobre 1993, reflétait une arrière-pensée politique — c’était quelques semaines avant le sommet Asie-Pacifique de Seattle, alors que l’Europe faisait de la résistance dans les négociations du G.A.T.T. (General Agreement on Tariffs and Trade) —, mais elle soulignait un risque réel, qui concerne d’ailleurs aussi bien les États-Unis: un déplacement du centre de dynamisme de l’économie mondiale vers les pays nouvellement industrialisés d’Asie. Non seulement ceux-ci ont ignoré le chômage et la récession, mais ils ont contribué, par une concurrence industrielle accrue, à ceux des nations industrialisées. Les données macro-économiques publiées à la fin de l’année 1993 ont confirmé que le processus était déjà bien engagé.Le Fonds monétaire international (F.M.I.) a fait état d’une sensible amélioration de la conjoncture mondiale, estimant la croissance à 2,2 p. 100 pour 1993, contre 1,7 p. 100 en 1992. Mais la performance est contrastée. Les nations industrialisées voient leur expansion se réduire de 1,7 à 1,1 p. 100, alors que celle des pays en voie de développement progresse de 5,8 à 6,1 p. 100. Parmi ces derniers, les pays d’Asie accentuent leur avance avec une croissance passant de 7,8 p. 100 en 1992 à 8,7 p. 100 en 1993. Cet écart reflète à la fois le développement des échanges intra-asiatiques et la surchauffe de l’économie chinoise. Les chiffres publiés à la fin de l’année par l’Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.) pour les économies dynamiques d’Asie (E.D.A.) – un groupe de six pays: Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong, Singapour, Thaïlande et Malaisie – constituent une référence plus homogène en la matière: la croissance est estimée pour 1993 à 5,7 p. 100, contre 5,6 p. 100 en 1992 (Perspectives économiques ).Ces données comparées – celles des pays industrialisés d’une part et celles des E.D.A. de l’autre – sont étroitement liées au débat sur les aspects internationaux de la politique économique en 1993, dont les principaux thèmes ont été la création ou l’élargissement des groupes économiques régionaux, l’approfondissement du système commercial multilatéral et les délocalisations industrielles, avec le prolongement social que constituait le problème de l’immigration. Le millésime 1993, sous ce rapport, fait figure d’année charnière. Les principaux événements qui l’ont marquée ont été la conclusion des négociations du cycle de l’Uruguay (Uruguay Round ), l’entrée en vigueur du traité sur l’Union européenne, la ratification de l’Accord de libre-échange nord-américain (A.L.E.N.A.) et l’amorce d’une coopération économique entre les pays riverains du Pacifique.Les aspects nouveaux du cycle économiqueChaque cycle économique comporte, de la part de ses acteurs, des erreurs d’appréciation, dont ils s’efforcent de tenir compte lors du suivant. Le laxisme fiscal et monétaire avait été, au cours des années 1960 et des premières années 1970, le tribut illusoirement payé au plein-emploi. La décennie suivante, marquée par les deux chocs pétroliers, connut successivement un gonflement des investissements publics (ce qui n’empêcha pas la «stagflation») et un recours prépondérant à la politique monétaire. Priorité ayant été donnée, dans les années 1980, à la stabilisation, le point haut de l’inflation en 1990 s’est situé à un niveau nettement inférieur à ceux de 1974 et de 1980. Cette politique de rigueur a eu pour première conséquence de réduire le rapport entre la croissance et la création d’emplois. Mais elle devrait être bénéfique à plus long terme: comme le souligne l’O.C.D.E., «cela aidera à créer des conditions économiques plus propices à une progression durable des investissements productifs, de la production et de l’emploi que celles qui existent depuis le début des années 1960».C’était là, toutefois, dans la gamme des principaux agrégats macro-économiques, à peu près la seule réussite dont on pût se prévaloir, avec son corollaire qui était la décrue des taux d’intérêt. Elle a été acquise par la modération salariale. Les politiques adoptées pour obtenir ce résultat ont contribué à la détérioration de la situation de l’emploi. C’est à cette perversion d’une stratégie économique «vertueuse» que les gouvernements et les grandes institutions ont cherché à échapper en 1993.Ils ne devaient en principe adopter de mesures de stimulation que dans le cas où ces dernières étaient compatibles avec le maintien de la stabilité monétaire, ce qui impliquait des approches différentes d’un pays à l’autre, tant en ce qui concerne les instruments de la politique économique que le moment choisi pour les utiliser. Le processus était déjà largement engagé aux États-Unis, avec les baisses successives de taux de la Réserve fédérale. L’Europe, pour sa part, s’est scindée entre les pays ayant maintenu leur devise au sein du système monétaire européen (S.M.E.) et les autres. Les premiers, parmi lesquels la France, le Danemark et les pays du Benelux, ont baissé leurs taux dans le sillage des décisions de la Bundesbank. Les autres, notamment le Royaume-Uni et l’Italie, ont profité de leur liberté monétaire recouvrée pour diminuer le loyer de l’argent, ce qui a stimulé à la fois l’activité et les exportations — mais une telle politique ne peut avoir d’effet positif que dans le court terme. Le Japon, quant à lui, a réagi, comme précédemment en pareille circonstance, par des programmes de travaux publics dont le financement lui était permis par une relative aisance budgétaire.Parmi les économies industrialisées, les pays anglo-saxons ont tiré leur épingle du jeu mieux que les autres, étant plus enclins à un comportement de stop and go , cette alternance d’essor et de ralentissement plus accusés chez eux qu’ailleurs. Cependant, et notamment aux États-Unis (un pays qui compte pour 37,7 p. 100 dans la production de la zone de l’O.C.D.E.), la reprise connaissait une modération inhabituelle en cette période du cycle, ce qui réduisait d’autant l’effet d’entraînement sur les pays partenaires.Les divers profils du cycle conjoncturel des pays industrialisés, tels qu’ils ont été tracés par l’O.C.D.E. pour 1990-1995, se distinguent nettement de ceux des périodes de 1972-1978 et de 1979-1985: celui du produit intérieur brut (P.I.B.) réel est moins accusé, tant en ce qui concerne la décroissance dans les trois années précédant le point bas que dans la remontée au cours de la période de reprise; la courbe du chômage se maintient au-dessus des deux autres et, contrairement à celles-ci, ne s’infléchit guère après son point haut; la courbe de l’inflation (déflateur du P.I.B.) du cycle actuel se situe nettement au-dessous des deux autres.Ce dernier point reflète non seulement la mollesse de la reprise, mais aussi une plus grande discipline en matières fiscale et monétaire, une attitude particulièrement notable en Europe en raison des contraintes de convergence imposées par le traité de Maastricht. Les participants au mécanisme de change du S.M.E. ne se sont pas prévalus de l’élargissement à 15 p. 100 (contre 2,25 p. 100 précédemment) des marges de fluctuation pour abandonner la rigueur monétaire. Le premier aspect de la comparaison des cycles — le profil moins accusé dans la variation du P.I.B. — a tenu aux divergences des performances parmi les principaux acteurs du monde industrialisé: le redressement confirmé ou amorcé dans les pays anglo-saxons, États-Unis en tête, n’a compensé qu’en partie le ralentissement en Europe et au Japon.La conjoncture de l’Europe continentale a continué d’être bridée en 1993 par les difficultés économiques de l’Allemagne, malgré le redressement amorcé dans les nouveaux Länder. En raison du caractère tardif des économies budgétaires adoptées à Bonn, la Bundesbank n’a desserré que très progressivement le carcan monétaire, ce qui a affecté les pays dont la monnaie était ancrée au deutsche Mark (la France, le Danemark, l’Autriche et les membres du Benelux). Indépendamment de ce facteur, le poids économique de l’Allemagne est tel que sa récession ne pouvait qu’empêcher ses partenaires d’échapper à la leur.Celle du Japon, venue en contrecoup des excès de la spéculation boursière et immobilière des années précédentes, a été une des pires que le pays ait connues depuis la Seconde Guerre mondiale. L’éclatement de la «bulle» spéculative en 1990, sous l’effet de la hausse des taux d’intérêt, a eu en effet pour conséquence durable d’amputer gravement les ratios de capitalisation des banques et, par là, de tarir l’émission de nouveaux crédits. Les bonus, qui représentent une part souvent importante de la rémunération des salariés, ont été réduits ou supprimés par les employeurs. Le marché du travail s’est dégradé au point que le dogme de l’emploi à vie dans les grandes entreprises a commencé à être mis en cause. La crise de la consommation dans l’archipel a entraîné une forte baisse des importations de produits de luxe et des investissements japonais à l’étranger.Le frein que l’ajustement financier exerce encore sur la reprise économique se constate dans un environnement plus large. Se référant aux données qui concernent les pays anglophones de la zone, le Japon et les pays nordiques, l’O.C.D.E. constate que, en dépit du désendettement entrepris par les ménages et les entreprises et du resserrement du crédit bancaire, la correction n’est pas encore arrivée à son terme. «Les signes de tension financière sont [...] loin d’avoir disparu, estiment les experts de l’organisation, si l’on en juge par le niveau encore excessivement élevé des ratios d’endettement du secteur non financier et par l’atonie des marchés de l’immobilier d’entreprise.»Le fléau du chômageL’effet négatif de la lutte contre l’inflation sur l’activité économique a été calculé par Lawrence Ball, un économiste de Princeton, à partir des données macro-économiques relatives aux principaux pays industrialisés pour les périodes de désinflation survenues depuis 1960. Dans un article publié à l’automne de 1993, il s’est efforcé de démontrer que l’impact variait, selon les pays, en fonction de la durée de la période d’ajustement et de l’agencement des conventions salariales. Pour les neuf pays considérés, il a calculé un «ratio de sacrifice» exprimant la perte de production potentielle par rapport à la baisse de l’inflation tendancielle. Au cours de la période étudiée, ce ratio s’est établi à 1,4, ce qui signifie que l’abaissement de 1 point du taux d’inflation leur a coûté, dans leur ensemble, 1,4 point de croissance. A contrario, on pouvait estimer que la désinflation à laquelle étaient parvenus les pays industrialisés à la fin de 1993 les affranchirait d’un obstacle vers la réalisation de la croissance potentielle.La montée du chômage a été dénoncée comme le problème économique numéro 1 au sommet des sept grandes puissances industrielles (G7), les 8 et 9 juillet 1993 à T 拏ky 拏, et à l’assemblée annuelle du F.M.I. et de la Banque mondiale, à la fin de septembre à Washington. Le fléau, estimait-on, devait affecter 35 millions de personnes dans les pays industrialisés en 1994. Les recommandations faites par ces instances étaient d’ordre général: accroître l’efficacité du marché du travail, améliorer l’éducation et la formation, encourager l’épargne et l’investissement, préserver le système commercial multilatéral, tenir compte du vieillissement de la population, perfectionner les marchés financiers.La problématique cernée par le rapport intérimaire sur l’emploi publié le 20 juillet par l’O.C.D.E. était plus étroitement ciblée. Selon ce document, les pays membres de l’Organisation ne pourront échapper à la fatalité du chômage que par une stratégie globale de valorisation des ressources humaines, formant un «cercle vertueux» avec l’amélioration des performances économiques. Suivant en cela l’exemple donné par le Japon depuis plus de deux décennies, les puissances occidentales devraient accroître leurs avantages comparatifs en se spécialisant, plus que par le passé, dans les productions à haute valeur ajoutée. Il faut, estiment les auteurs, «faciliter la réorientation des structures de production entreprise dans les pays de l’O.C.D.E. qui se détournent des emplois peu qualifiés à bas salaires au profit d’emplois très qualifiés et à salaires élevés». Cela suppose un effort accru dans le domaine de l’éducation, de la formation et de la recherche-développement. Des pays comme Taïwan ou Singapour n’avaient pas attendu les conseils des experts du château de la Muette pour «délocaliser», depuis plusieurs années, leurs productions à haut contenu de main-d’œuvre vers d’autres pays où les salaires sont nettement moins élevés. Mais ce qui est relativement facile pour des nations qui bénéficient de transferts technologiques l’est beaucoup moins pour celles qui figurent dans le peloton de tête de l’innovation, dont les coûts s’accroissent de façon exponentielle.La logique tracée par l’étude de l’O.C.D.E. conduisait à la condamnation du protectionnisme: il faut permettre à la concurrence d’éliminer les producteurs les moins efficaces, et les autres finiront par imposer leurs normes d’excellence. Il faut aussi permettre aux pays en développement d’exporter des produits pour lesquels le facteur de la main-d’œuvre constitue un atout dont ne disposent pas les pays riches.Le cycle de l’UruguayCette logique était implicite dans les objectifs du cycle de l’Uruguay, une négociation lancée en septembre 1986 à Punta del Este et qui a fini par aboutir le 15 décembre 1993 à Genève, siège du G.A.T.T. Après de multiples rebondissements et une âpre confrontation finale entre les États-Unis et la Communauté européenne, la conclusion des négociations a permis de renforcer le système des échanges internationaux dans un cadre multilatéral, alors que le commerce mondial tendait à s’organiser dans le cadre de groupements régionaux. La Communauté des Douze, en effet, s’est ouverte commercialement aux pays de l’Association européenne de libre-échange (A.E.L.E.) dans le cadre de l’Espace économique européen (E.E.E.), ratifié le 13 décembre 1993. Les États-Unis, le Mexique et le Canada ont ratifié l’Accord de libre-échange nord-américain, et un premier jalon en direction du libre commerce a été posé par quinze pays riverains du Pacifique dans le cadre de l’A.P.E.C. (Asia Pacific Economic Cooperation).Le caractère multilatéral du système d’échanges commerciaux est renforcé par la création d’une Organisation multilatérale du commerce (O.M.C.), dotée d’un statut comparable à celui du F.M.I. et de la Banque mondiale, les institutions fondées à Bretton Woods en 1944. À l’époque, les États-Unis, pour préserver les prérogatives du Congrès en ce domaine, avaient préféré placer le commerce international sous l’égide d’un forum associatif, le G.A.T.T., dont les décisions n’ont pas de caractère contraignant pour les parties contractantes. L’accord du 15 décembre ne permet l’exercice de rétorsions unilatérales, telles qu’en prévoit la section 301 de la loi commerciale américaine, que si les procédures internationales se révèlent inopérantes.L’accord de l’Uruguay Round a comporté une partie «classique», amplifiant les mesures de désarmement tarifaire et non tarifaire adoptées, à partir de 1947, à la faveur des sept précédents cycles. Celui qui s’est achevé en 1993 aura été de loin le plus complexe et le plus ambitieux. Les vingt-huit accords dont il est composé élargissent la réglementation des échanges aux domaines de l’agriculture, des textiles, des services, de la propriété intellectuelle et des investissements à l’étranger. Le volet agricole a été le plus difficile à négocier, au point de faire craindre un échec de toute l’affaire, qui avait été conçue sur la base du tout ou rien. La phase finale a été dramatisée par l’adoption d’une date butoir, le 15 décembre, correspondant au délai nécessaire au Congrès des États-Unis pour ratifier l’accord au plus tard le 16 avril 1994. C’est à cette première date qu’expirait la loi dite du fast track adoptée à Washington au début de juillet, prévoyant un vote de l’accord commercial en bloc, sans possibilité d’amendements.Une avancée dans les discussions fut enregistrée le 7 juillet, à la veille du sommet de T 拏ky 拏: les représentants des Douze, des États-Unis, du Canada et du Japon, réunis dans le cadre de la «Quadrilatérale», sont alors convenus d’éliminer les taxes douanières et les barrières non tarifaires à l’importation d’un certain nombre de catégories de produits, relançant ainsi la dynamique de la négociation. En revanche, le «préaccord» sur le dossier agricole, dit de Blair House – du nom de la demeure de Washington où il a été conclu, le 20 novembre 1992, entre les négociateurs américains et européens –, a eu le résultat inverse. Le gouvernement français, sous la pression des agriculteurs nationaux, s’est opposé en particulier à l’obligation de réduire de 20 p. 100 les exportations agricoles subventionnées. Ce différend a mis à rude épreuve la solidarité franco-allemande, car les ministres libéraux de la coalition au pouvoir à Bonn, interprètes habituels des milieux industriels, ont exprimé sans ménagement leur impatience face aux réticences françaises. Cependant, les agriculteurs allemands de l’Est avaient agi, sans le savoir, en faveur de Paris. Ils avaient dépassé de 5 à 15 p. 100 les plafonds d’ensemencement assignés par la nouvelle politique agricole commune (P.A.C.), qui avait prévu une mise en jachère de 15 p. 100 des terres plantées en céréales ou plantes oléagineuses. Ces exploitants se trouvaient donc exposés à compenser ces dépassements, mais cette fois sans indemnisation financière, par des mises en jachère supplémentaires de même ampleur en 1994 (l’Allemagne ayant choisi une limitation régionale, il n’était pas possible d’opérer une répartition avec les Länder occidentaux). Cela créait une situation délicate pour Helmut Kohl au regard des dix-huit consultations électorales prévues pour 1994. Le chancelier allemand avait dès lors besoin d’alliés pour l’agriculture. La récente revalorisation du deutsche Mark ne pouvait plus être balancée par des montants compensatoires monétaires, ces derniers ayant été supprimés le 1er janvier. Avec l’appui de la France, l’Allemagne a obtenu du Conseil des Douze de n’être pas pénalisée du fait des conséquences de la crise financière sur l’application de la nouvelle P.A.C. Cette solidarité s’est retrouvée au G.A.T.T.L’accord du 15 décembre, à Genève, a porté sur tous les points prévus pour le cycle de l’Uruguay, à l’exception toutefois du domaine audiovisuel, à la demande de la Communauté, et des transports maritimes, à l’insistance des États-Unis. Les services financiers ont fait par ailleurs l’objet d’une exclusion pour dix-huit mois, afin de permettre de nouvelles négociations avec certains pays d’Asie. Enfin, le contingentement prévu pour les textiles dans le cadre de l’accord multifibre sera éliminé progressivement, sur dix ans.Les réactions qui ont salué l’issue heureuse de ce long débat n’ont pas été à la mesure des enjeux tels qu’ils avaient été chiffrés par des experts, ni de l’évocation, par les plus chauds partisans de l’accord, des conséquences dramatiques qu’auraient entraînées, selon eux, un échec. D’après une étude menée pendant quatre ans par l’O.C.D.E. et la Banque mondiale, qui a été rendue publique le 26 septembre, la libéralisation des échanges selon les objectifs du cycle de l’Uruguay devrait se traduire par un revenu supplémentaire de 213 milliards de dollars pour l’économie mondiale au cours de la période allant jusqu’en 2002. Après un nouveau calcul prenant en compte l’élimination des barrières non tarifaires, l’O.C.D.E. a relevé le chiffre à 270 milliards de dollars.Extension du régionalisme commercialL’année 1993 a été riche en événements renforçant la tendance, amorcée au milieu des années 1980, à la concentration des échanges commerciaux dans le cadre régional. En Europe, le mouvement s’est manifesté le 1er novembre, par l’entrée en vigueur du traité de Maastricht instituant l’Union européenne, le 13 décembre, par l’inauguration de l’Espace économique européen et, une semaine plus tard, par l’ouverture du dossier des demandes d’adhésion de quatre pays, l’Autriche, la Finlande, la Norvège et la Suède. L’objectif, pour ces derniers, était d’achever les négociations au plus tard en mars 1994, en vue de parvenir à des adhésions effectives le 1er janvier 1995. Les principales divergences concernaient la reprise par les candidats de l’«acquis communautaire», c’est-à-dire l’ensemble des actes juridiques et principes de droit qui fondent la construction européenne. De multiples dérogations étaient demandées par les postulants, qui cherchaient à conserver certains monopoles (alcools, hydrocarbures) ou exceptions (transit des poids lourds), comme à sauvegarder des normes d’environnement ou des protections particulièrement élevées en faveur de leurs agriculteurs.Le cinquantième Conseil européen a approuvé, le 11 décembre, le Livre blanc du président de la Commission, Jacques Delors, qui proposait 20 milliards d’écus d’investissements sur six ans pour lutter contre le chômage. Sur cette somme, 12 milliards de travaux ont été retenus, 8 milliards devant faire l’objet d’études supplémentaires. En revanche, les Douze ont renoncé à l’imposition d’une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone à l’occasion de la ratification de la Convention internationale sur le changement climatique.L’A.L.E.N.A., visant à la suppression progressive, en quinze ans, des droits de douane et obstacles non tarifaires aux échanges entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, a été approuvé à Washington, le 17 novembre 1993, par la Chambre des représentants et trois jours plus tard par le Sénat. Le Canada avait été le premier des trois pays signataires à ratifier l’A.L.E.N.A., le 23 juin, mais la loi n’a été promulguée à Ottawa qu’après d’ultimes mises au point convenues en décembre entre le président Clinton et le nouveau Premier ministre canadien, Jean Chrétien. Le président américain avait précédemment exigé, conformément à ses promesses électorales, la négociation d’accords complémentaires, conclus le 20 août, en matière de protection de l’environnement et de législation du travail.Le sommet de l’A.P.E.C., qui a réuni quinze dirigeants de la région Asie-Pacifique, le 20 novembre 1993, à Seattle, a couronné une démarche plus ambitieuse, mais de conception moins précise. L’administration Clinton, estimant que le centre de gravité de l’économie mondiale s’était déplacé vers l’Asie, entendait «récupérer» ce mouvement sous le leadership américain. Cette intention a été clairement perçue par les participants asiatiques à ce forum d’une semaine, ce qui a empêché l’engagement souhaité par Washington en faveur d’une zone de libre-échange. Les seules décisions concrètes ont été de prévoir un deuxième sommet(en Indonésie en 1994) et d’admettre trois nouveaux membres: le Mexique et la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1993, et le Chili l’année suivante. Conçue, à l’origine, comme un moyen de faire participer les pays occidentaux de la région à la concertation asiatique (c’était une idée de l’ancien Premier ministre australien Bob Hawke), l’A.P.E.C. s’orientait vers un rôle plus politique, dans la mesure permise par la diversité des pays membres. Bill Clinton s’en est servi pour faire adopter un message pressant à l’adresse des Européens pour un accord sur le cycle de l’Uruguay.Dans une étude consacrée au développement du régionalisme commercial, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (C.E.P.I.I.) a estimé que la raison première de créer des unions régionales était plus politique qu’économique. L’auteur, Michel Fouquin, ajoutait que l’«hétérogénéité politique, culturelle et religieuse est telle qu’il y a très peu de chances de voir l’A.P.E.C. former autre chose qu’un forum, doublé d’un moyen, pour les États-Unis, d’empêcher l’Asie de se doter d’une organisation régionale autonome».La seule structure commerciale de ce continent demeurait donc l’association de libre-échange formée par les six pays de l’A.S.E.A.N. (Association des nations du Sud-Est asiatique), c’est-à-dire l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, Singapour et Brunéi. En Amérique latine, en revanche, les accords de cette nature se sont multipliés, impliquant le plus souvent le «groupe des Trois» composé de la Colombie, du Mexique et du Venezuela. Le 4 décembre 1993, ceux-ci ont finalisé leur propre pacte de libre-échange qui devait être signé officiellement le 10 janvier 1994 (une révolte d’Indiens dans l’État mexicain de Chiapas a motivé un report à date indéterminée). Ils ont conclu, en octobre, des accords commerciaux avec deux groupes de pays de la région, les membres du Caricom (onze nations anglophones des Caraïbes, Belize et le Guyana) et ceux de l’Amérique centrale (Costa Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama et Salvador). Ces derniers ont renforcé, le 29 octobre, le traité qui avait institué leur marché commun en 1960. Un tarif extérieur commun a été adopté, le 5 mars, par quatre des pays du Pacte andin, la Colombie, le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur, le Pérou s’abstenant en raison de ses difficultés économiques. Un accord de libre-échange, enfin, a été signé, le 6 décembre, par les présidents du Chili, Patricio Aylwin, et de la Colombie, César Gaviria. Ces amorces d’intégration régionale ont été facilitées par la meilleure conjoncture qui s’est affirmée dans le sous-continent.La croissance économique de l’Amérique latine a été estimée par l’O.C.D.E. à 3,6 p. 100 en 1993, contre 2,9 p. 100 l’année précédente. La reprise y a été «globalement soutenue grâce aux programmes de stabilisation et de réforme économique qu’ont menés à bien un grand nombre de pays de cette région».Une évolution comparable est apparue en 1993 parmi les républiques de l’ex-Union soviétique, en vue de réduire les conséquences économiques désastreuses de la désagrégation de leur système d’échanges. Un traité d’Union économique a été paraphé, le 24 septembre, par l’Azerbaïdjan — qui a adhéré à cette occasion à la Communauté des États indépendants (C.E.I.) —, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Moldavie, la Fédération de Russie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. L’Ukraine a décidé de se joindre à l’Union en tant que membre associé. Le texte prévoit la libre circulation des hommes et des marchandises et la coordination des politiques monétaire, financière et budgétaire. Mais la portée de cet accord a été limitée par l’éclatement de la zone rouble, dû à la décision qu’a prise Moscou de démonétiser les billets de banque émis après la dissolution de l’Union soviétique et aux conditions exigées des pays partenaires, jugées par ces derniers léonines.De leur côté, les pays de l’Europe centrale et orientale (P.E.C.O.) n’ont pu obtenir l’ouverture des marchés des dix-neuf États d’Europe occidentale lors de la conférence consacrée à ce sujet à Copenhague, les 13 et 14 avril. La réunion n’a pu aboutir qu’à une déclaration soulignant l’importance des «politiques commerciales libérales».Toujours dans ses Perspectives économiques , l’O.C.D.E. a estimé que les pays de la C.E.I. et ceux d’Europe centrale et orientale devraient pratiquement tous avoir retrouvé le chemin d’une faible croissance en 1995. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (B.E.R.D.), consacrée au financement de leur transition vers l’économie de marché, a changé de président. Jacques Attali, dont la gestion avait été mise en cause, a été remplacé le 18 août par Jacques de Larosière, qui avait été directeur général du F.M.I. avant de devenir gouverneur de la Banque de France.Un continent «en perdition»La situation économique de l’Afrique s’est, une fois de plus, dégradée au cours de l’année 1993. Sa croissance est demeurée très faible au regard de la poussée démographique. Elle a été évaluée par le F.M.I. à 1,6 p. 100, contre 0,4 p. 100 en 1992. Pour Michel Camdessus, directeur général du F.M.I., elle apparaissait comme «un continent en perdition». Ayachi Yaker, secrétaire général adjoint de l’O.N.U. et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, a fait état, le 25 octobre, de sa situation «dramatique». Selon une étude présentée le 12 novembre à la vingt-septième session de la Conférence de la F.A.O. (Food and Agriculture Organization), au cours des vingt prochaines années le fléau de la sous-alimentation chronique devait tendre à se déplacer de l’Asie du Sud vers l’Afrique subsaharienne, où 300 millions de personnes seront affectées.Une quinzaine de pays donateurs et d’institutions internationales ont promis, le 20 octobre, au siège européen de la Banque mondiale à Paris, une aide de 5,5 milliards de dollars aux vingt-sept pays africains les plus pauvres engagés dans un programme de réformes économiques.Les pays africains de la zone franc ont accepté en janvier 1994 une dévaluation du franc CFA, dont la parité a été ainsi réduite à 0,025 franc français. Cette mesure, justifiée par la dégradation du solde extérieur de ces pays, était réclamée officieusement depuis plusieurs années par le F.M.I.L’économie des pays arabes, qui avait connu un véritable boom en 1992 avec une croissance de 14 p. 100 due à la reconstruction du Koweït et à une forte hausse (6,7 p. 100) des recettes pétrolières (94,6 milliards de dollars), s’est sensiblement ralentie en 1993, sa croissance étant évaluée à 4 p. 100 par le Fonds monétaire arabe (F.M.A.). Cette institution a estimé, dans son rapport annuel publié le 2 septembre, que l’économie de ces pays s’est remise des conséquences de la guerre du Golfe et qu’elle «est entrée dans une nouvelle phase depuis 1992 grâce à la reconstruction et à la poursuite des réformes économiques».Le F.M.A. a toutefois publié en 1993 deux rapports faisant état d’évolutions structurelles défavorables dans le monde arabe. Un de ces documents, en date du 2 juillet, a signalé que les investissements intérieurs arabes ont fortement chuté au cours des douze dernières années en raison de la baisse du prix du pétrole et de l’achèvement d’importants programmes d’infrastructure dans le Golfe. Après avoir atteint près de 116 milliards de dollars en 1980, ces investissements sont revenus à 84 milliards en 1991. La baisse a été particulièrement importante dans les six pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït, Émirats arabes unis, Qatar, Bahreïn et Oman), ainsi qu’en Irak, en Libye et en Algérie. Dans une autre étude, publiée le 5 septembre, le F.M.A. a signalé que le commerce interarabe, après avoir augmenté de 13 p. 100 par an entre 1986 et 1989, a chuté de 14 p. 100 en 1991 et a continué de se contracter, dans une moindre mesure (non précisée), en 1992. Cette dernière baisse — attribuée aux conséquences de l’invasion du Koweït par l’Irak — est intervenue alors que les échanges globaux des pays arabes avaient atteint le chiffre le plus élevé depuis dix ans: 244 milliards de dollars, contre 230 milliards en 1991. Les vingt et un pays de la Ligue arabe sont convenus, au début d’avril, de la nécessité de réduire entre eux les obstacles douaniers au commerce, celui-ci ne représentant que 8 p. 100 de leurs échanges extérieurs totaux. Toutefois, les ministres de l’Économie et des Finances des pays du C.C.G., réunis le 26 octobre à Riyadh, n’ont pas réussi à s’entendre sur un projet d’unification de leurs tarifs douaniers. Cette démarche visait notamment à remplir une des conditions posées par la Communauté européenne pour la signature d’un accord de libre-échange, en discussion depuis plusieurs années.Réunis le 18 mai à Doha (Qatar), les ministres des Finances du C.C.G. se sont abstenus de confirmer leur engagement de verser une aide de 10 milliards de dollars promise depuis deux ans à l’Égypte et à la Syrie, en vertu de la Déclaration de Damas. Autre conséquence de la baisse des recettes pétrolières (qui ne représentent plus que 10 p. 100 des revenus des pays du Golfe, après avoir atteint jusqu’à 63 p. 100), la dette extérieure des pays arabes a dépassé 200 milliards de dollars, selon une étude publiée en juillet par la Ligue des centres arabes pour le développement économique et social. À la fin de l’année 1993, le cours du brut était tombé à quelque 13 dollars sur le marché londonien, retrouvant, en monnaie constante, le niveau d’avant le premier choc pétrolier de 1973. Après la dizaine d’années de prospérité que fut la période de 1973-1983, les pays du Golfe n’avaient pas pu se constituer le capital nécessaire à leur développement ultérieur. On était bien loin des conditions qui avaient permis, vingt ans auparavant, l’explosion des prix de l’or noir. Le Venezuela, pays à l’origine de la création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (O.P.E.P.), en 1960, ouvrait ses gisements d’hydrocarbures au capital étranger, et le processus de paix engagé entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.) faisait un contraste saisissant avec la guerre du Kippour, qui fut le détonateur de la guerre du pétrole.Promesses pour les territoires occupésL’aide à laquelle la communauté internationale s’est engagée à l’égard de l’O.L.P. est apparue comme le meilleur gage de succès pour l’avenir de l’accord avec Israël conclu en août 1993 à Sarpsborg et signé le 13 septembre à Washington. En revanche, les pourparlers politiques, qui se sont poursuivis dans le sud-ouest de la Norvège, n’ont pas permis, en décembre, de rapprocher les deux parties sur des aspects essentiels de l’autonomie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Les plus urgents concernaient le contrôle des ponts sur le Jourdain et l’étendue du territoire autour de Jéricho sur lequel l’O.L.P. pourrait exercer ses prérogatives administratives. Mais d’autres questions demeuraient sans réponse. Dans quelle mesure l’économie du futur État serait-elle indépendante d’Israël? Quelle influence serait laissée à la Jordanie, en sa qualité d’ancienne puissance souveraine? Les dirigeants de Jéricho disposeraientt-ils d’une Banque centrale? Seraient-ils habilités à établir un tarif douanier, ou devraient-ils accepter l’union douanière souhaitée par Israël? Qui aurait autorité sur les colonies juives implantées dans les territoires? Le problème de Jérusalem, revendiquée pour capitale par les deux parties, paraissait le dernier susceptible de se prêter à l’amorce d’une solution.Puisque l’État hébreu offrait le spectacle d’une apparente prospérité, par contraste avec les pays voisins, la paix devait être gagnée avant tout sur ce terrain. La tâche paraissait considérable. Le revenu individuel moyen des 1,7 million d’habitants de la Cisjordanie et de Gaza n’atteignait que 1 800 dollars par an (selon les chiffres de 1991), 16 p. 100 seulement des 10 878 dollars des Israéliens (le déséquilibre était encore plus accusé pour les 780 000 habitants de Gaza dont le revenu annuel n’était que de 850 dollars). Pour près d’un tiers, l’économie de ces territoires dépendait de la vente de ses produits à Israël et des salaires qu’y obtenaient ses travailleurs. Au contraire, l’économie de ce dernier pays n’était tributaire qu’à concurrence de 3 p. 100 des apports des territoires, un pourcentage qui allait en déclinant en raison de la substitution de la main-d’œuvre au profit des immigrants juifs.L’agriculture occupait une place importante dans l’économie des territoires: elle contribuait pour un quart au P.I.B., occupait 23 p. 100 de la population active et intervenait pour 60 p. 100 dans les exportations. Les difficultés provoquées par le sous-investissement, les restrictions aux échanges extérieurs et une croissance démographique de 4,7 p. 100 par an avaient été récemment aggravées par la fermeture, pendant cinq mois, de la frontière avec Israël.La Banque mondiale a évalué, en août 1993, à 3 milliards de dollars sur dix ans les investissements nécessaires à la restauration de l’économie palestinienne. Pour tenir compte du coût du rapatriement des Palestiniens émigrés, le chiffre a été révisé, en octobre, à 550 millions de dollars par an pendant cinq ans. Les représentants de quarante-sept pays, réunis à Washington le 1er octobre, se sont engagés à allouer aux territoires occupés 600 millions de dollars immédiatement et 400 millions en 1994, sous forme de dons, de prêts et d’assistance technique. Les États-Unis entendaient participer à concurrence de 500 millions de dollars sur cinq ans. La Communauté européenne, qui a versé depuis 1971 plus de 518 millions d’écus aux Palestiniens réfugiés, s’est engagée à hauteur de 500 millions d’écus. Le Japon, un des principaux fournisseurs d’assistance à ces populations avec 27 millions de dollars en 1993, devait fournir 100 millions en 1994. Les pays scandinaves et les États du Golfe participeraient aussi à cet effort.Le conseil d’administration de la Banque mondiale a autorisé, le 19 octobre, la création de deux fonds fiduciaires destinés à fournir une aide d’urgence aux territoires occupés. Le premier, de 50 millions de dollars, devait servir à des opérations de réhabilitation d’urgence à Gaza, et le second, de 35 millions, à financer l’aide technique et des études de faisabilité.
Encyclopédie Universelle. 2012.